Dix-sept kilomètres et cinq-cents mètres en deux versions (Défi du samedi n° 885)

 

On s’était perdus.

Ou plutôt on nous avait perdus. Pas de balise sur le chemin forestier, une bifurcation à droite alors qu’il fallait poursuivre tout droit...

Bref on était perdus.

A force que je dise, en le faisant exprès, une bêtise par phrase, On n’écoute plus jamais ce que je dis, même quand c’est la voix de la Sagesse qui parle à travers ma bouche.

« Bien fait pour ta g… !» me susurre-t-elle à l’instant, la voix intérieure. La Sagesse est malpolie et emploie des verbes dont l’orthographe est compliquée vu qu’ils ne s’écrivent pas comme ils se prononcent.

- C’eût été bien mieux de descendre par la route départementale n° 3. Il faisait beau et chaud, il y avait très peu de circulation et on arrivait tout droit au village de Faux-la-Montagne où nous avions établi notre campement de base.

Mais On ne m’a pas écouté.

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Bien entendu, on aurait pu raconter les choses autrement :

Publié le 22/08/2025 à 12:00
Le Petit écho de la Creuse

Sous un soleil éclatant qui apportait une note encore plus colorée à cette cérémonie de passage en perdition du 1er Régiment d’investigation pédestre (RIP), un parterre de feuillages de toutes couleurs et de différentes essences d’arbres et de nombreux animaux sauvages discrets dont Martine Mouetterieuse, représentant la municipalitailée, Alain Byrinthe, maire de La Queue du Tour, et le commandant de gendarmerie Rubarré s'étaient réunis autour de la petite clairière d’Ouskonédon dans la forêt du Colonel Légaré sur la base de Faux-la-Montagne.

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En plus c’est On qui avait la carte.

Quand on est sortis de la forêt on a trouvé une route. Un petit pont passait par-dessus un gros ruisseau canalisé. On a mis du temps à comprendre qu’on était sur la Départementale 85, entre La Sagne et la bifurcation vers Bessat, là où la carte indique l’altitude de 715 mètres. Alors on a cherché l’entrée du chemin blanc qui permettait de retrouver la D 3 un peu après le point « altitude 758 ».


- Et merde ! qu’a commenté la Sagesse. Va falloir remonter en plein cagnard !

Ce fut effectivement assez interminable. Pendant que je suais ou prenais des photos de la flore ambiante On galopait devant.

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Continuons le récit parallèle. En moi habite la Sagesse mais loge également la Fantaisie surréaliste et collagière !

Le général de brigade Lafeuillade, commandant la 11e brigade perditionniste présidait à ce dernier hommage rendu par les hommes du 1er R.I.P. à leur chef, le colonel Bonnet. Cette journée exceptionnelle était toute empreinte d'émotion et de pas perdus pour tous ces militaires qui, en deux ans, avaient appris à connaître et à estimer cet ancien « scout de France », figure de proue d'un régiment d’ibis railleurs et de moules nébuleuses. Clodoaldien d'origine, il est passé par trois fois à la base de Faux-la-Montagne : 1983, 1990 et 2001 où il avait pris le commandement du 1er R.I.P. avant de rejoindre désormais Redon en tant que chef de bureau logistique au commandement de la force d'évacuation des souks parentéraux. Chevalier de la Légion d'horreur et chevalier dans l'Ordre national du J’hérite, le colonel Bonnet a participé à plusieurs campagnes d’égarement : Vallée de l’Inferno près Charleville-Mézières en 2018, fabrication de pro-thèses pour les chevaliers paysans du lac de Paladru en 2015, plateforme multimodale d’Oignies en 2012, Puy-de-Sancy sous la pluie en 1978 et Sahara algérien en 1975 (opérations dites de la rue de la Soif).

Pour lui succéder, le colonel Blanchon arrive de Coëtquidan où il assumait les fonctions de professeur de groupe au diplôme de fausses cartes d'Etat-Major puis rédacteur au centre d'examen et d'enseignement extérieur des défèque-niouzes. Ce Parisien d'origine, lui aussi chevalier de la Légion d'horreur et chevalier dans l'Ordre national du J’hésite a deux campagnes à son actif : l’Italie où il fut blessé à la bataille de Solféo-Torino en peignant un faux drapeau monégasque sur l’arbre d’un propriétaire irascible qui ne l’entendait pas de cette oreille et l’Egypte d’où il ramena le nez retrouvé du sphinx de Gizeh et un obélisque magique permettant de vérifier que tout concorde dès qu’on a mis les choses en place.




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De fait le soir au camping tout rentra dans l’ordre.

- Quelle importance qu’On se perde si tu es perdu avec elle ? a pondu la Sagesse. Que vous ayez marché dix kilomètres ou dix-sept kilomètres cinq-cents, le monde entier s’en contre-fout. Pendant que vous avez fait ça, au moins, vous avez foutu la paix aux Ukrainiens et aux Gazaouis ! Non ? »

Je n’ai pas répondu : j’étais mort de fatigue.



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Après la prise d'oreiller et la fermeture des châsses eut lieu la passation aux bras de Morphée avant le défilé des ronflements bien guidé par les musiciens du 1er R.I.P que l'on ne cesse d'applaudir pour la qualité de leur prestation.


N.B. La trame originale de la version 2 se trouve ici :



En voiture, Simone ! (Défi du samedi n° 884)




« Karl Marx et Patrick Modiano, tu les vires par la porte, ils reviennent par la fenêtre ! ».

C’est très particulier de pondre une phrase comme celle-ci à partir d’une photo de tulipes et d’un vieux répertoire téléphonique ayant appartenu à Madame Gallinatcheva.

C’est bien sûr indépendant du fait que Fanfan la Tulipe, héros incarné à l’écran par Gérard Philipe (avec un seul p pour que la rime soit plus riche), était une idole dans les familles communistes des années 1950-1960. Nul n’est besoin de revenir là-dessus ni sur l’adaptation en bandes dessinées de cette histoire signée par Gaty et Nortier. C’était un très bon et bel acteur, immortalisé par Larousse (Petits classiques) dans son costume du Cid, pour qui même les bonnes bourgeoises avaient les yeux de Chimène.

Si Karl Marx repointe son museau c’est surtout à cause de la notion de transfuge de classe. C’est parce que ce tableau fait penser, d’emblée, à une décoration de chambre d’hôtel.


- Et alors ? demande notre ami François Fillon.

Alors l’hôtel et le restaurant, il n’y a pas mieux comme endroits, pour qui vient de la raffarinesque France d’en bas, pour se sentir, une nuit ou deux heures durant, à égalité avec le bourgeois, ne fût-il que petit.

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Si Patrick Modiano sort, bien involontairement, de son silence de nobélisé, c’est que l’agenda de Mme Gallinatcheva nous plonge dans une époque révolue, celle où les numéros de téléphone ne comportaient que quatre chiffres.

On peut y lire ceci :

« Aiguebelette. Chez Michelon (Hôtel-restaurant) 73610 La Combe. Tél. 79 36 05 02 »

Figure également, à droite, à l’encre rouge, l’appréciation T.B. pour « Très bien ».


Si vous devez aller en Avignon le guide G. – appelons comme cela l’aide-mémoire gastronomique et logis-tique de Madame Simone ! – vous conseille :

L’Hôtel de Garlande 20, rue Galante tél 90 85 08 85

Un séjour en Tunisie vous tente ? Une étape aux îles Kerkennah vous agrée ? Essayez l’hôtel Cercina, 1 rue Sidi Fredj tél. 81 028 !

Si j'étais Patrick Modiano je vous recopierais ici tout le répertoire avec des liens vers les sites webs des hôtels qui, pour la plupart, existent encore !


- Et alors ? insiste l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe.

Alors Mme Gallinatcheva s’est bien transfugée ! Il y a dans ce carnet plus d’une centaine d’adresses dont certaines dans des villes très marquées « tourisme improbable » (Châteauroux, Bagnoles-de-l’Orne, Jalogny, Saint-Nazaire-le-Désert) mais aussi Djerba, Venise, Paris – quatre pages ! - et Tübingen.

Alors il y a aussi, ailleurs-partout dans la maison, des tonnes de photos, d’albums et de boîtes de diapos ramenées de voyages en Syrie, Pologne, Italie, Tunisie, Egypte…

Alors on ne prononce pas les mots « bilan carbone » dans la maison d’une dame décédée vu que les morts sont tous des braves types et que c’était la plus aimable des dames que le narrateur ait connues. De plus on a bien raison, toutes et tous, de profiter de la vie tant qu’on ne nous a pas démontré par A + B que « la mort c’est mieux ! ». L’intelligence artificielle pourrait peut-être répondre à cette question-là mais on a autre chose à faire ces temps-ci que de s’adresser à une machine plus ou moins idiote.

- Quoi donc, Joe Krapov ? Qu’est-ce que tu as de mieux à faire que de jouer aux échecs contre le « bot » de Lichess.org au niveau 4 qui n'est rien d'autre qu'une i.a. ?

- Rêvasser, m’interroger sur les "Bien, Assez bien ou Très bien"  qu’elle attribuait dans son carnet. A quoi s’appliquaient donc ces notes écrites en rouge ? A la literie ? Aux repas ? Aux prestations sexuelles de son amant du jour ? A l’ensemble ?

Peut-être cela ne concernait-il que la décoration de la chambre ! Combien aurait-elle mis au tableau des tulipes ?

Si c’est la bonne hypothèse, convient-il d’aller vérifier en Aguessac (Aveyron) si les murs du motel les Artys sont désespérément blancs et dénués de tableaux accrochés au-dessus du lit ? L’établissement n’a pas reçu de note.




***

Je ne saurais terminer ce billet fort irrespectueux envers ma belle-mère préférée sans mentionner deux souvenirs personnels récents.

Grâce à l’artiste Brigitte Baudère des lambeaux de papier peint - provenant peut-être de chambres turpitudesques -, très artistiquement assemblés entre eux, se sont trouvés exposés… dans l’église de Faux-la-Montagne ! Mais on est où, là ? !



Dans cet hôtel de Tours où on nous avait attribué, Dieu sait pourquoi, deux lits séparés, était-il bienséant de positionner au-dessus de nos couches cette peinture érotique à effet aphrodisiaque immédiat ?

OK, je sors !



Je roule pour vous ! (Défi du samedi n° 883)


Resituons les choses :

A. L’oncle Walrus a une fille. Celle-ci a eu l’idée sotte et grenue d’épouser un natif de Bretagne et de le suivre ou rejoindre sur la côte de granit rose, à Trévou-Tréguignec, près de la plage de Trestel, mais ne soyons pas trop précis car l’IA profiterait de notre science et moi je suis comme Michel Audiard qui disait «Je ne parle pas aux cons, ça les instruit».

B. Le témoin de mariage de Joe Krapov et Marina Bourgeoizovna se prénomme Anita et habite à Lannion dans une rue au nom imprononçable pour qui n’est pas un Bretonnant ou une Bretonnante (je mets des majuscules pour ne fâcher personne et surtout pas les Nantais·e·s).

Tant qu’à faire de visiter la famille et les amies dans les Côtes d'Armor, l’oncle et le neveu en profitent pour randonner, marcher, aller voir toutes les ressources touristiques du coin qui n’est pas un des plus moches endroits du monde.

Posons le postulat : on ne voit pas tous les mêmes choses.


Par exemple, ce menhir. En quarante ans de fréquentation des trésors du Trégor, à raison de deux ou trois séjours dans l'année, nous avons bien dû aller faire vingt fois le tour de l’Île grande, tout à côté, et donc être passés devant sans que je me souvienne de l’avoir photographié une seule fois !

Ce n’est pas grave, mon oncle Walrus roule pour moi et il nous fait cadeau cette semaine de cette photo compromettante : ce n’est certes pas Obélix qui a gravé ce symbole cruciforme en haut du bloc de pierre mais de braves croyants du XVIIe siècle qui ont cru bon de taguer-détourner-récupérer ce monument païen au profit d’une secte qui a plutôt bien réussi.

L’oncle Walrus roule pour nous ! Pierre-André Bourgeoizov aussi ! Lui c’est le grand-père paternel de mon épouse et il a fait la même photo entre 1935 et 1940. On y voit même, si on agrandit un peu, la représentation peinte de la passion du Christ. C’est fou de penser que le gamin en culottes courtes et polo blanc a aujourd'hui 97 ans !


L’air de rien, quelles que soient nos religions, on fait tous, sans même y penser, œuvre de partage communiste de nos souvenirs de voyage.

Petr Petrovitch Bourgeoizov, fils du précédent, est allé plusieurs fois à Venise. Sans vouloir critiquer, il n’a ramené que trois photos moches de l’île de Burano où j’ai, personnellement, amassé des tonnes de clichés de ce que je considérais être le plus bel endroit du monde.


Par contre lui est monté en haut du campanile de la place Saint-Marc et a donc ramené de magnifiques vues quasi-aériennes de Venise que je partagerai bientôt sur mon blog.

Moi qui me suis déplacé de cinq cents kilomètres cet été, que pourrais-je vous offrir cette semaine qui vous fasse penser que j’ai roulé pour vous ?

Tiens, restons dans cette ambiance très « peace and love » avec cette sculpture sur bois des bords du lac de Vassivière !


J’y ajouterai juste le tigre qui monte la garde dans le hameau de « Sauvazons la Plazanet » !