Il arrive un moment dans nos vies où l’on se sent vraiment perdu pour le marxisme.
A force de voir les uns s’affronter, s’invectiver, s’envahir et se haïr et les autres devenir des zombis silencieux, le nez plongé en permanence sur l’écran de leur téléphone, pareils aux deux paysans de l’Angélus de Millet, on sent bien que l’on prend du poids et que la société guydéborde de partout.
C’est donc avec l’assurance d’un certain âge qu’on effectue et affirme son choix
1) d’aller au spectacle
2) de le faire venir chez soi
3) de se jeter soi-même en pâture aux lecteurs·trices, aux auditeurs·trices, aux spectateurs·trices (y compris s'ils se prénomment Pa·trice !)
A chaque fois c’est une aventure, une découverte exceptionnelle de l’« enrichissez-vous l’âme » de mots aiguisés plutôt que des mets à Guizot.
1) aller au spectacle
Samedi soir on est allés revoir Yannick Jaulin. Cette fois-ci c’était pour « J’ai pas fermé l’oeil de la nuit » un spectacle d’il y a vingt ans qu’il a décidé de reprendre tous les ans au mois de novembre en vue peut-être de mourir sur scène ! On ne dira jamais assez combien cette légende urbaine autour de la mort de Molière travaille l’esprit des comédiens !
A-t-on pu rire, ce soir-là, des cimetières et de la mort ! Et comme on a serré les fesses au retour ! C’était à la nuit noire, de Saint-Germain-sur-Ille à Rennes via Saint-Grégoire, sur une route de campagne couverte de brouillard, avec des courbes, des carrefours, de longues lignes droites dont on n’apercevait que les cinq premiers mètres et les ronds blancs tracés au sol, semblables aux cailloux semés par le Petit Poucet. Une atmosphère à croiser l’Ankou royalement perché sur son vélo pas éclairé, couvert d’une cagoule noire et porteur d’une sacoche Uber eats pleine d’urnes funéraires sur le dos.
Nous sommes rentrés à bon port puisque je suis encore à jeter l’encre sur les rives du Styx ou plutôt de la Vilaine.
2) faire entrer le spectacle chez soi
Alors oui, tout petit déjà, on te donne cette petite boîte pour que tu regardes et restes tranquille et tu absorbes le meilleur comme le pire : Zorro, Thierry la Fronde, Nounours et Belphégor, Dorothée, Chantal Goya, Louis de Funès et Albator.
Je ne suis pas du genre à tout rejeter. Je n’ai pas de télé mais j’ai des dévédés, j’en emprunte en bibliothèque et je passe l’hiver sous la table.
Pardon, je passe « L’Hiver sous la table » et on se régale d’Isabelle Carré, de Roland Topor qui a écrit cette merveille de conte théâtral, de Zabou Breitman * qui l’a mise en scène et des autres acteurs excellents dont Dominique Pinon et un violoniste virtuose, Liviu Badiu.
3) Que faire ?
C’est la question que posait Vladimir Il’itch Oulianov dit Lénine. Face à cette société du spectacle, n’ayant pas l’âme d’un militant, d’un ermite ou d’un stylite ni la colère d’un terroriste, on n’a pas grand-chose à proposer à part faire chanter les gens, les faire écrire, les amuser, leur raconter des histoires, leur montrer des images belles ou drôles.
C’est peut-être d’une modestie désespérante mais au moins, pendant ce temps-là, on n’envahit pas l’Ukraine, nous !
P.S. Cela ne nous empêche pas pour autant de demeurer des Marxistes convaincus (tendance Groucho ou Harpo, selon les moments).
* ici on boucle la boucle : Zabou Breitman est la fille de Céline Léger qui tenait le rôle d’Isabelle dans Thierry la Fronde !

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