Octopus's garden (Défi du samedi n° 845)

 Le factotum s’appelle Octave. On fait appel à lui pour dégager le tractopelle embourbé, pour calculer la surface d’un octogone lyonnais, pour fournir une protection rapprochée aux acteurs de cinéma dont les exactions sexistes sortent au grand jour, pour cramer les Ektachromes compromettantes des factieux en voie de dédiabolisation et pour bien d’autres tâches plus ou moins suspectes dans des tas de secteurs de l’activité humaine.


La rectitude, l’exactitude, la perfection et le caractère discret voire secret de ses actions sont les points forts de tout factotum qui se respecte.

Il goûte le nectar avec le savoir-faire de l’oenologue averti qui a quinze ans de bouteille dans un palace sélect et commente doctement, avec très peu d’affectation, la présence de cuisse ou de touches de fruits rouges dans le vin dégusté.

Il charrie des bactéries pour l’Institut Pasteur, des briquettes pour construire le palais du facteur Cheval, des phylactères pour les éditions Dupuis où l’on sait qu’il ne bulle jamais, qu’il est réactif, productif et pas réfractaire à la tâche comme ce paresseux de Gaston, le collaborateur jadis occasionnel et désormais dysfonctionnel qui ne fait rien qu’à soupirer après la dactylo, Mademoiselle Jeanne. Et on ne parle pas des ses inventions qui ont pour objectif de saboter la vie du journal de Spirou ! Gaston ou la didactique du pire !

Sans même consulter Doctolib, Octave, lui, sait distinguer une infection urinaire d’une attaque de conjonctivite mais bon ça c’est facile. Il sait réparer les lecteurs de Compact-Disques défectueux, faire fonctionner un extincteur, analyser la conjoncture, ne pas se perdre en conjectures ; il sait où se trouve le disjoncteur en cas de panne de lumières au gouvernement, il sait additionner les fractions mais il est bien d’accord que ça ne sert à rien quand les élections ont fait venir à la chambre deux tiers de gaulois réfractaires qui ne s’entendent pas et un tiers de godillots réactionnaires qui sont là pour défendre le maintien du pactole pour les actionnaires et les banquiers.




Mais laissons l’actualité sociale et passons à la vie privée. Lorsqu’il termine sa tâche quotidienne et cesse de pactiser avec la direction, les directives, les directeurs, les directifs, les inspecteurs des travaux finis, les prospecteurs de gains de productivité et autres pondeurs d’injonctions en tous genres, Octave redevient le petit mari plein de tact de Dame Bénédicte.

Depuis « toutes ces années déjà ! » leur bonheur est intact, idéal, pictural, factuel et peut-être éternel ; l’affection qu’ils éprouvent l’un·e pour l’autre est constante. C’est peut-être parce que le proverbe dit « Factotum un jour, factotum toujours ! ».

A la maison aussi Octave fait tout ! Dans ses casseroles et faitouts il concocte pour sa douce des petits plats délicieux avec les victuailles qu’il a choisies lui-même sur les étals du marché. Il prépare des cocktails, choisit les Saint-Nectaire, programme des promenades forestières en octobre, des observations de la Voie lactée en été, des sorties au cinéma pour voir des super-héros indestructibles tenter toutes sortes d’actions pour empêcher la fin du monde d’arriver...

- C’est fait depuis mardi dernier, exactement depuis que le canard Donald a gagné ! plaisante Bénédicte. Rentrons chez nous et aimons-nous !




Effectivement, depuis que l’Amérique a ainsi disjoncté, le couple s’est réfugié dans la lecture d’histoires de détectives, dans la réécoute des Nocturnes de Chopin, dans la délectation du « Pendant le coïtum l’animal n’est pas triste », du « Fac moi totum, factotum ! » du « Jacte-moi d’amour, redis-moi des choses tendres », dans le contact des peaux et la joie d’être deux.

Il se trouvera sans doute, sur leur chemin, des détracteurs au rictus torve pour condamner ce repli sur soi, cette attitude « égoiste » de déconnectés de luxe. Mais ils n’y peuvent rien, Octave et Benedicte y sont addicts, au bonheur !




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