Ma chère Isaure, ma très bien aimée maîtresse virtuelle, ma douce montreuse de vie en rose,
Plutôt que d'aller faire un tour dans la rue Sainte-Isaure à Montmartre en 2001, j'aurais dû effectuer pour toi un pèlerinage au 45, quai Conti et photographier, depuis le pont des Arts, la coupole de l'Institut de France.
Tu as vécu en cet endroit de 1824 à 1832, dans le logement de fonction de ton grand père Amaury Pineu-Duval qui était secrétaire de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Ta maman était revenue vivre chez son père après le décès de son mari Adolphe, le libraire-aventurier, en Amérique du Sud. Elle y redevint la flamboyante Emma Antigone Duval, veuve Chassériau, y tenant salon littéraire, sortant dans le « grand monde » autant qu’elle le pouvait et elle finit par épouser en 1832 un riche notaire vendéen, Marcellin Guyet-Desfontaines, qui devint député, châtelain à Linières, bref une success story bien de l'époque. Mais passons sur ces détails de ta première vie même si ce que l'on perçoit du monde entre 4 et 12 ans est aussi très important pour la suite de son parcours. De toute façon à part Emmanuel François, Bathilde Dopffer et moi-même tout le monde se fiche bien aujourd'hui des années 20 à 54 du XIXe siècle. Tout le monde préfère sa seconde vie, celle qui se déroule sur un écran d'ordinateur ou de smartphone, sur les réseaux sociaux qui sont en fait de plus en plus des zéros sociaux. Moi-même j’y passe encore beaucoup de temps à jouer à l’écrivain virtuel et j'ai éprouvé beaucoup de bonheur à relire récemment les deux récits en dix chapitres, consacrés à ton oncle Camille, que j'avais déposés en 2009 chez l’éditeur Kaléidoplumes. Sur la lancée je devrais peut être me replonger dans le roman du vol de ton tableau au musée des beaux Arts de Rennes en avril 1999 « Isaure a disparu ». Voire l’éditer sous forme d’ibouque !
C'est à cette occasion-là que je t'ai rencontrée, c'est de là que tout est parti. Que serais-je sans toi, ô mon Isaure ? Que serais-je sans toi qui symbolises toutes ces autres dames rennaises, discrètes, amusantes, réservées mais si accueillantes pour l'original étranger que je fus et suis encore même après vingt-sept ans de séjour dans cette cité bretonne (?) où il ne pleut jamais et où donc, du fait d’une certaine sécheresse, rien ne prend sauf le feu ?
Toi et moi, nous nous sommes un peu perdus de vue depuis que tu es retourné vivre à Paris. Notre amour n'avait rien de cadenassé comme celui des moutons de Panurge qui se jettent sur la balustrade dudit pont des Arts pour y laisser leurs initiales entrelacées. Il n'y a pas plus libre qu'un anaon, un personnage de fiction deux fois centenaire, un fantôme bienveillant, une inconnue dans l'histoire, une femme de 34 ans qui ne vieillit jamais, traverse toutes les époques et s'est même payé, grâce à l'université de Rennes 3, des voyages dans le passé à vocation féministe. Je ne manque jamais de saluer les trois frères Park lorsque je pénètre dans le jardin du Thabor par l'entrée de la rue de Paris ou lorsque je passe devant la maquette du vaisseau Tornado sur la place Rallier-Du-Baty.
Mais je ne vais pas t'embêter plus longtemps, juste te donner quelques nouvelles du monde imagier qui est le mien, des pérégrinations immobiles de ma souris, des trouvailles de ma vie routinière de musicien-poète. A l'atelier d'écriture de Villejean c'est Willy Ronis, en parfaite coïncidence avec la photo de l’atelier Filigrane, qui m'a ramené à toi. Ses amoureux du pont des Arts comme ses estivants de l'île Saint Louis ou ses baigneuses de la fontaine Stravinsky sont bien plus libres, légers et insouciants sans leur cadenas ou leurs smartphones dans la poche arrière et pourtant ce sont des photos relativement récentes qui ont servi à notre dernière séance de divagation écrivassière.
Sur Internet Monsieur Google n'indexe plus rien ou presque mais en allant chez Monsieur Qwant qui se montre plus généreux j'ai retrouvé aussi ta trace et j’ai récupéré deux représentations encore inconnues de moi de tes cousines Adèle et Aline, les sœurs du peintre Théodore Chassériau sur un tableau et un dessin signés de celui ci. On ne rigolait pas beaucoup dans cette famille-là non plus !
J’y ai aussi trouvé cette image surréaliste de ton portrait dans une machine à laver ! Je la résumerai ou la légenderai ainsi : « On peut mener en étant très heureuse ou très heureux une vie sans tambour ni trompette annonçant que le cycle est fini ! Il suffit pour cela de la repeindre en rose ! ».
Times fades away ? Or not ! Rust never sleeps ? So what ?
Je t'embrasse, ma très chère Isaure !
Joe Krapov
P.S. Toute ma petite famille va bien et tu manques énormément à l'Oncle Camille, à la tante Agathe et à toute la bande de copains du café « Au vieux Saint Etienne ». Reviens-vite nous voir à Rennes : c'est quand même une ville où il ne pleut jamais et où, en automne, les statues sont fleuries !
La cinéaste est assise dans le bureau du producteur. Elle vient chercher des financements pour son projet de film historique.
- Bon. On peut revoir votre check-list ? Parce que, voyez-vous, c’est la crise pour tout le monde, actuellement. Prendre des risques financiers en produisant un film, ça coûte cher et ça peut même coûter bonbon si le produit se ramasse.
- Il y a peut-être le jackpot au bout, parfois !
- C’est vrai. C’est pour ça que je veux voir combien vous allez me coûter. Pour savoir combien ça peut me rapporter si ça marche. Allez-y, déroulez !
- Un paysan bourru ; un troupeau de moutons ; un cheval ; son caparaçon ; son cavalier en costume de légionnaire romain. Il porte des sandales, une tunique, une armure de plaques en fer, un glaive, un bouclier, une ceinture militaire, un casque et un javelot sur lequel est fixée un gonfalon blanc à croix rouge. Il nous faudra des gros ventilateurs pour le faire flotter parce que là où on va tourner, en Espagne sans doute, c’est sec et il n’y a que très peu de vent.
- Jusque là, ça va.
- Un palais royal miteux ; une armée en déroute ; une population miséreuse prête à croire à n’importe quoi et à voter pour n’importe qui mais ça se passe dans un pays où il n’y a pas encore d’élections. Un monarque dont les caisses sont vides et qui est dépassé par les inondations.
- Vous m’avez dit que c’était un pays sec ?
- Pardon, j’ai mal lu. Dépassé par les humiliations. Des manifestations paysannes.
- Combien de tracteurs ?
- C’est un film historique. Ils brandissent des fourches en gueulant « On en a gros ! »
- Je préfère ça. Tant qu’ils ne mettent pas le feu au Parlement de Rennes ou à un symbole de ce genre, ça me va.
- Après... Il y a le cas de la princesse.
- Si les caisses sont vides, sa garde-robe ne doit pas être très fournie, je me trompe ?
- Ce n’est pas la question du costume qu'elle porte qui va vous faire tiquer. C’est qu’on a l’accord de principe de Scarlett Johansson pour tenir le rôle.
- Scarlett Johansson ! Vous voulez ma ruine ou quoi ?
- S’il n’y a pas de vedette connue, les gens ne viendront pas au cinéma, savez-vous ? Enfin le plus gros…
- Je vous écoute.
- On a négocié avec le responsable des effets spéciaux de Jurassic Park et de ses suites. Il est d’accord pour nous construire un dragon comme on n’en a jamais vu.
- Bon, si vous avez cette caution-là je veux bien envisager de les allonger.
- Après…
- Quoi encore ? Ce n’est pas fini ?
- La responsable du casting a pris contact avec Dany Boon pour le rôle de Saint-Georges et avec Gérard Jugnot pour le rôle du roi.
- Dites, vous voulez ma mort ou quoi ? Vous savez combien ils prennent comme cachet, ces malades ?
- Ils sont disponibles aux dates de tournage et intéressés par le scénario.
- Écoutez, ma petite, vous êtes bien gentille, mais vous allez me faire des coupes dans ce budget tel qu’il est sinon je ne finance pas.
Le factotum s’appelle Octave. On fait appel à lui pour dégager le tractopelle embourbé, pour calculer la surface d’un octogone lyonnais, pour fournir une protection rapprochée aux acteurs de cinéma dont les exactions sexistes sortent au grand jour, pour cramer les Ektachromes compromettantes des factieux en voie de dédiabolisation et pour bien d’autres tâches plus ou moins suspectes dans des tas de secteurs de l’activité humaine.
La rectitude, l’exactitude, la perfection et le caractère discret voire secret de ses actions sont les points forts de tout factotum qui se respecte.
Il goûte le nectar avec le savoir-faire de l’oenologue averti qui a quinze ans de bouteille dans un palace sélect et commente doctement, avec très peu d’affectation, la présence de cuisse ou de touches de fruits rouges dans le vin dégusté.
Il charrie des bactéries pour l’Institut Pasteur, des briquettes pour construire le palais du facteur Cheval, des phylactères pour les éditions Dupuis où l’on sait qu’il ne bulle jamais, qu’il est réactif, productif et pas réfractaire à la tâche comme ce paresseux de Gaston, le collaborateur jadis occasionnel et désormais dysfonctionnel qui ne fait rien qu’à soupirer après la dactylo, Mademoiselle Jeanne. Et on ne parle pas des ses inventions qui ont pour objectif de saboter la vie du journal de Spirou ! Gaston ou la didactique du pire !
Sans même consulter Doctolib, Octave, lui, sait distinguer une infection urinaire d’une attaque de conjonctivite mais bon ça c’est facile. Il sait réparer les lecteurs de Compact-Disques défectueux, faire fonctionner un extincteur, analyser la conjoncture, ne pas se perdre en conjectures ; il sait où se trouve le disjoncteur en cas de panne de lumières au gouvernement, il sait additionner les fractions mais il est bien d’accord que ça ne sert à rien quand les élections ont fait venir à la chambre deux tiers de gaulois réfractaires qui ne s’entendent pas et un tiers de godillots réactionnaires qui sont là pour défendre le maintien du pactole pour les actionnaires et les banquiers.
Mais laissons l’actualité sociale et passons à la vie privée. Lorsqu’il termine sa tâche quotidienne et cesse de pactiser avec la direction, les directives, les directeurs, les directifs, les inspecteurs des travaux finis, les prospecteurs de gains de productivité et autres pondeurs d’injonctions en tous genres, Octave redevient le petit mari plein de tact de Dame Bénédicte.
Depuis « toutes ces années déjà ! » leur bonheur est intact, idéal, pictural, factuel et peut-être éternel ; l’affection qu’ils éprouvent l’un·e pour l’autre est constante. C’est peut-être parce que le proverbe dit « Factotum un jour, factotum toujours ! ».
A la maison aussi Octave fait tout ! Dans ses casseroles et faitouts il concocte pour sa douce des petits plats délicieux avec les victuailles qu’il a choisies lui-même sur les étals du marché. Il prépare des cocktails, choisit les Saint-Nectaire, programme des promenades forestières en octobre, des observations de la Voie lactée en été, des sorties au cinéma pour voir des super-héros indestructibles tenter toutes sortes d’actions pour empêcher la fin du monde d’arriver...
- C’est fait depuis mardi dernier, exactement depuis que le canard Donald a gagné ! plaisante Bénédicte. Rentrons chez nous et aimons-nous !
Effectivement, depuis que l’Amérique a ainsi disjoncté, le couple s’est réfugié dans la lecture d’histoires de détectives, dans la réécoute des Nocturnes de Chopin, dans la délectation du « Pendant le coïtum l’animal n’est pas triste », du « Fac moi totum, factotum ! » du « Jacte-moi d’amour, redis-moi des choses tendres », dans le contact des peaux et la joie d’être deux.
Il se trouvera sans doute, sur leur chemin, des détracteurs au rictus torve pour condamner ce repli sur soi, cette attitude « égoiste » de déconnectés de luxe. Mais ils n’y peuvent rien, Octave et Benedicte y sont addicts, au bonheur !
- Peut-être qu’elle était gauchère ? Du coup c’est plus pratique pour piquer ?
- Pas regardé ! Et l’interrogatoire surprise, avant !
- Tu devrais y être habitué, à faire semblant d’être malade !
- Non ! Cette fois c’était : « Nom ? Prénom ? Date de naissance ? ».
- C’est plus « secure » quand même ! Tu vois le coup qu’ils mélangent tes flacons avec celui d’un triple cancéreux ! Ou d’un Groseille comme dans « La Vie est un long fleuve tranquille » !
- Bizarre de balancer ça dans cet ordre : Krapov ! Joe ! 10-07-1989 !
- T’es né le même jour que le petit Marcel ?
- 118 ans plus tard quand même ! Et donc, bien douloureuse, l‘aiguille !
- Chochotte !
- En tout cas, cette fois j’avais mon flacon !
- De sels, pour après l’évanouissement ?
- D’urine ! La pharmacienne m’a confirmé. Sur l’ordonnance, un mot savant, genre « protéinurie » ! Ça voulait dire « pisser à jeun ». Comme au pays des pruneaux ! Amener son pipi du matin !
- Et donc ça va ?
- Le flacon ne s’est pas renversé pendant le trajet mais la carte vitale a fait de l’obstruction !
- Tu portes la poisse aux machines !
- Pas autant qu’elles ne nous emmerdent. D’ailleurs si on va par là, le lundi précédent, test hémoccult !
- Ben mon colon ! C’était tir groupé, alors ? T’es gentil, pour le coup tu pratiques l’ellipse intégrale, tu ne nous racontes pas !
- Je ne suis pas ici pour ça !
- Résultat ?
- Reçus par mail l’après-midi. Je t’ai déjà dit mon mot de passe pour les récupérer ? Dracula 72 !
- Et donc ?
- Tout semble normal sauf le pic qui a bien augmenté.
- Le pic ?
- Le pic d’iatrophobie !
- Bah ! T’inquiète pas ! Dans 118 ans plus personne n’en parlera plus !
***
Cent-dix-huit ans plus tard, personne n'y pensait plus.
Un de ces quatre matins j'aborderai l'automne de ma belle existence en n’entendant plus rien, en étant aussi sourd que Tryphon Tournesol, savant de référence pour qui pratique encore ce grand art du silence, la lecture.
Je ne serai plus alors obligé de me boucher les oreilles chaque fois que passe dans ma rue un véhicule pénitentiaire qui, pour ramener à la prison un détenu, émet force décibels et lumière bleue, symboles de la rencontre hélas fort peu improbable d'une sirène et d'un gyrophare sur la route devant ma maison.
Il se trouve en effet que je loge, à Rennes, sur le chemin qui mène du palais de justice à Vezin-le-Coquet (Vezet-le-Coquin !) où se trouve la nouvelle prison qui avait autrefois pris ses quartiers chez Jacques (Cartier) sur le boulevard du même nom.
Le volume sonore des sirènes rennaises est tel qu'il me rappelle celui des ambulances entendues dans Bruxelles. Ce côté « Poussez-vous de là que je m'y mette ! Écartez-vous de ma route ! La justice et la police et la santé passent d'abord ! » me brouille l'écoute.
Et en y repensant – n’en déplaise à la fondation M**l*ns*rt -, aux aventures de Tintin et Milou, je perçois mieux aujourd'hui combien le professeur Tournesol représente le Yin de la zénitude dans un océan de Yang de la drôle-de-zébritude.
En opposition à l'alcoolique injurieux, soupe-au-lait, irascible, exubérant et surtout vociférant, à côté de la cantatrice à coffre dont le contre-ut lancé dans son « Air des bijoux » est capable de faire exploser sept boules de cristal d’un seul coup, insoucieux des discours assurés, incessants et imputrescibles de l'assureur Lampion Séraphin, bien loin des coups de feu des Picaros et autres révolutionnaires ou gangsters auxquels va se frotter le jeune reporter Tintin, n'entendant rien à la politique, au conflit entre la Bordurie et la Syldavie, réfugié dans son laboratoire au fond du parc de Moulinsart et vivant dans sa bulle (nom savant : phylactère), l’ami Tryphon apporte à cette bande d'agités une mer de tranquillité (« Objectif : dans la Lune ! ») et un véhicule sous-marin pour plonger dans le monde du silence du Commandant Cousteau.
De cette courte analyse d'un personnage littéraire je tirerai non pas un sujet de thèse mais un virelangue : « Quelle sagesse chez ce savant fou et sourd ! Susurre-le dix fois d’affilée sans que ta langue fourche ! ».
Et je terminerai par mon conseil du jour : pour éviter les décibels ambiants relisez « L'Affaire Tournesol » et prenez-en de la graine !
Le commandant Smith avait proposé à la jeune Française montée à bord à Cherbourg une petite promenade sur le pont du paquebot. La nuit était tombée, le ciel était sans nuages, on distinguait toutes les étoiles qui scintillaient comme dans ce tableau célèbre du peintre Vincent Van Gogh. Il faisait assez froid cependant.
- A quoi bon le sextant… commença-t-il et il s’interrompit, se souvenant de son service militaire au 10e régiment de dragons de Mourmelon-le-Grand puis de ses années au Prytanée militaire de La Flèche. Il en avait gardé un goût pour les calembours et la gauloiserie qui ressurgissait périodiquement, parfois aux pires moments, semblable en cela aux têtes repoussantes de l’hydre de Lerne qu’affronta jadis Hercule. Hydre mâle, bien entendu, de nature à effaroucher quelque peu les vierges et les rosières ! Il lui fallait toujours maintenant faire la balance entre le vocabulaire de bouvier dont il était capable d’user après une ou deux coupes de champagne de trop bues à la table du restaurant et la dignité qui sied au commandant d’un bâtiment maritime de prestige tout frais sorti des arsenaux.
La jeune fille s'était accoudée au bastingage à la poupe du navire et contemplait le triangle écumeux des remous lâchés sur l'océan.
- A quoi bon le sextant et le point sur les étoiles à l’époque de la machine pneumatique ? La vitesse à laquelle nous filons la métaphore nous a permis de parcourir plus de 1400 miles.
- Combien cela fait-il de kilomètres ? demanda le petit renard.
La chevelure de Bérénice, jolie rousse à peau blanche, voletait sous l’effet de la brise, découvrant un charmant cou de cygne sur lequel le bel Edward Smith, avec son appétit de petit lion ou de grand méchant loup, eût volontiers posé les lèvres.
- Plus de deux mille ! Avez vous apprécié le repas de ce soir, Miss Eridan ?
- C’était parfait, commandant ! La dorade était royale, vous féliciterez le chef de ma part.
- Ce Monsieur Lelièvre est un fin cuisinier. Il a officié aux fourneaux de « L’Ecu de Sobieski », un restaurant français fort renommé de New-York, la ville où nous nous rendons. Quelqu’un vous attend-il là-bas ?
Edward était de plus en plus émoustillé par les gestes gracieux de la blanche colombe qui offrait son visage aux caresses du vent, se tournait, minaudait telle une starlette de l’Hollywood naissant et se comportait comme si lui-même avait fait le paon, déposant sur l’autel de ce temple flottant une couronne boréale, une roue constellée d’étoiles, de promesses de voiles qui volent et de coups de bélier dans les portes de la pudeur, ce que le soldat Louis, son voisin de chambrée à Mourmelon, appelait galamment « démonter la passerelle ».
- Personne ne m'attend, Commandant, sinon le Rochester Museum and Science Center où je vais travailler à un projet de planétarium en tant qu'astronome confirmée.
- Ah ? Vous êtes une spécialiste des étoiles ?
- Oui, dit-elle en sortant un télescope de son réticule et si vous me laissez seule maintenant pour que j’observe La Grande ourse, Pégase et la nébuleuse d’Andromède, j’accepterai volontiers que vous me serviez de cocher à notre arrivée dans la Grosse pomme. Je serai votre petit cheval et je vous montrerai ce que je transporte dans ma carène, je m’occuperai de votre oiseau de paradis, je vous ferai monter au septième ciel : c’est toujours mieux avec une guide qui s’y connaît. Maintenant embrassez-moi pour sceller ce pacte et retournez à votre poste ! Je ne suis pas de celles qui préfèrent l’amour en mer !
Edward mit toute sa fougue à répondre à l’invitation puis elle le repoussa gentiment en demandant :
- Vous êtes de quel signe astrologique ?
- Taureau.
- Enchantée, moi, c’est scorpion ascendant scorpion. Votre numéro complémentaire ! A demain, commandant La Grenouille !
Et elle lui tourna le dos.
***
Les promesses de Bérénice ne furent jamais tenues. Un peu avant minuit, ce 14 avril 1912, le Titanic heurta un iceberg et le bateau coula.
Un trou dans les collections des Champs libres ? C’est possible !
Le bouquin de Nikolaos Ntirlis «Jouez 1. d4 d5 ! Un répertoire classique», ça fait deux mois que je l’avais à la maison. Je l’ai réemprunté. Si je faisais ça tous les mois, ça serait un peu comme s’il m’appartenait !
Ce qui serait bien aussi, ce serait que je lise !
P.S. Aujourd’hui 30 août, je suis rendu à la page 70 (de 370) en ayant posé sur l’échiquier toutes les parties décrites.
Depuis plus de quarante ans que je fréquente la Bretagne, le marqueur ultime de l'automne est pour moi la foire teillouse de Redon. C'est une foire aux marrons, en fait aux châtaignes, enrobée de concours de chants, de sonneurs (les joueurs de biniou et bombarde du genre d'Assurancetourix), de coups de cidre ou de bière à la taverne des marins et dans les bars, de concerts ici et là, de festou-noz etc. On appelle cela aussi la Bogue.
C'est d'abord un rendez-vous familial annuel et j'ai pris l'habitude d'aller présenter, au grenier à sel local où se déroule une scène ouverte nommée "Apéros poétiques", mon travail de poète-chansonnier.
On m'attend au tournant là-bas parce que, comme je l'ai fait ici souvent, j'amène des choses déjantées ou drolatiques.
Cette année, je vais leur faire une farce. Une farce au 36e degré. Je vais leur chanter "Pensées des morts", un poème d'Alphonse de Lamartine mis en musique par Georges Brassens. C'est drôle, non ?
Pas encore tout à fait amnésique. 8, Je viens du Sud (Joe Krapov)
Au Sud de la Loire, est-ce déjà l’Afrique ? Ou bien les gens là-bas ne sont-ils tous que des fadas ?
Notre bistrot-mémoire de la semaine sera consacré aux habitants de ces régions où l’eau est si rare que c’est criminel de boucher les sources et que c’est un délit de jouer comme sur cette photo à l’arroseur arrosé (un film des Frères Lumière, natifs de Besançon donc hors sujet !). Amusons-nous avec les gens venus du Sud !
A tout seigneur tout honneur, je viens de rendre hommage sur le site Filigrane à Marcel Pagnol dont j’ai redécouvert « L’Eau des collines » grâce à Jacques Ferrandez, bédéaste bath. Je connaissais les deux films de Claude Berri et surtout la trilogie « Marius » « Fanny » « César » avec son « Tu me fends le coeur ! » de la célèbre partie de cartes. Je peux ajouter les célèbres "moutonsses" de Louis Jouvet dans « Topaze » mais je ne sais pas trop ce que c’est que le « Schpountz » ni qui est « Merlusse ».
Un autre zélateur de la Provence, Monsieur Alphonse Daudet, est né à Nîmes. On connaît bien les lettres de son moulin, sa chèvre de Monsieur Seguin, son curé de Cucugnan, bien plus que le hussard sur le toit – quelle idée de monter là-haut par 38° ! - de M. Giono dont je n’ai rien lu. Je zapperai également M. René Char de L’Isle-sur-la-Sorgue dont les oeuvres poétiques ne figurent pas sur ma table de chevet.
Mais je n’oublierai pas en chemin Alibert et Darcelys, leur Petit cabanon et leur Partie de pétanque ni Fernandel avec son répertoire plus parisien et plus coquin : Félicie aussi, L’Ami Bidasse, La Caissière du grand café, Barnabé, Ignace, La Bouillabaisse.
Parmi les figures marseillaises plus récentes que Marius et Olive et que la sardine qui bouche l’entrée du port et fait jaser sur la Cane Cane Canebière, il y a bien sûr Robert Guédiguian et sa bande, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan (Marius et Jeannette) et aussi Emmanuel Mouret (Caprice, L’Art d’aimer, Changement d’adresse) qui prolonge au cinéma l’art de Marivaux et la veine d’Eric Rohmer.
Décalons-nous un peu à l’Ouest. Arrêtons-nous à Sète et avouons que nous connaissons plus de chansons de Georges Brassens que de poèmes de Paul Valéry. Rappelons-nous le séjour que nous y fîmes, la visite du cimetière marin, de Bouzigues et le vent qui aurait emporté le chapeau de Mireille (Mathieu?) le dernier jour. Tramontane et Mistral ne tournent pas la tête aux gens au nord de la Loire : ici les vents n’ont pas de nom.
A Narbonne est né le fou chantant, Charles Trénet. « Douce France », « Boum », « L’Âme des poètes », « Le Jardin extraordinaire », « Le soleil qui a rendez-vous avec la lune » et la bonne qui se donne du plaisir avec une passoire. Encore un joli fada, dites donc !
Castelnaudary nous a donné Pierre Perret qui ne nous fait plus vraiment rire avec ses dernières provocations mais dont nous avons aimé « Lily », « Le Café du canal », « Blanche », « Le Facteur », « Quand le soleil entre dans ma maison » et « Donnez-nous des jardins ». Toutes ses gauloiseries, « Estelle », « C’est le printemps » ou « Le Zizi » furent bien nécessaires et appréciées à l’époque opaque où elles sortirent mais sont redevenues taboues aujourd’hui où le monde l’est (à bout, le monde est à bout).
Chez les Piscénois, à Pézenas nous avons hérité de Boby Lapointe, sa Maman des poissons, ses avanies, ses framboises, ses virées en Aragon et en Castille avec un sentimental bourreau, son père et ses verres, sa méli-mélodie. Un personnage unique en son genre, admirable en tout.
A Lagrasse est né Charles Cros, auteur du "Hareng saur" et des délicieux poèmes du "Collier de griffes" et du "Coffret de santal" ainsi que du « Sidonie a plus d’un amant » de Brigitte Bardot.
Montpellier nous a donné Léo Malet, le créateur de Nestor Burma. Toulouse a vu naître et chanter Claude Nougaro ("Je suis sous sous sous sous ton balcon", « Cécile ma fille », « Ô Toulouse », « Le Coq et la pendule », « Le Jazz et la java », « Armstrong »)
Montcuq fut le dernier refuge de Nino Ferrer et de sa Mirza. Il y habitait la maison près de la fontaine, dans le Sud de la ville et oublia toujours – quel cornichon ! - son parapluie quand il partait en pique-nique.
Bergerac nous a donné Cyrano mais la célébrité de ce Savinien lunatique est surtout due à la plume d’Edmond Rostand, autre Marseillais notoire.
L’Auvergne nous a donné Fernand Raynaud sans lequel la blogosphère belge ne serait pas ce qu’elle est !
Le Limousin nous a fait cadeau de Raymond Poulidor, la Vendée de Yannick Jaulin et Saint-Etienne a sorti de son chaudron magique un Bernard Lavilliers aux mains d’or.
Tchic a tchic a tchic aïe aïe aïe ! J’ai failli oublier le pays basque et Luis Mariano, sa Belle de Cadix, son Mexico et son Rossignol de ses amours !
De même que Tino Rossi (Catarinetta bella tchi tchi !), i Muvrini et « L’Affaire corse », une enquête de Jack Palmer par René Pétillon.
Je sais que François Mauriac est associé à Bordeaux mais je m’en fiche ! Sa littérature n’est pas ma tasse de thé et Thérèse Desqueyroux, si elle ne me sert pas des grands crus qui font des petites cuites ou même le petit Bordeaux clairet de la supérette voisine, elle ne m’intéresse pas !
Je ne franchirai pas les Pyrénées d’où j’aurais pu ramener Salvador Dali et Carlos Nunez. Je ferai l’impasse sur l’Italie qui mérite un chapitre à part ! Des Grecs et des Pieds-noirs, je sauve pour terminer Angélique Ionatos et Georges Moustaki, Guy Bedos, Jean-Pierre Bacri, Georges Wolinski et surtout Enrico Macias qui a si bien chanté… les gens du Nord … de la Loire !